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Shafic Abboud est né le 22 novembre 1926 à Mhaidsé, village grec orthodoxe de la montagne libanaise situé à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Beyrouth. Les racines de sa famille sont profondément rurales, mais son père Boutros tient à Beyrouth un commerce assez prospère et sa mère Emilie, issue de la petite bourgeoisie, a pu suivre des études. Shafic est l'aîné de sa fratrie, il a un frère, Sami et une soeur, Sonia.
Le temps de l'enfance restera un moment enchanté. Les souvenirs d'une grand-mère conteuse du village, d'un grand-père paysan mais aussi poète-illustrateur, la lumière, les cabanes dans les arbres, l'iconographie melkite ; ce qu'il nommera plus tard « les années de l'oiseau » ne va cesser de nourrir son imaginaire.
Durant son adolescence, Shafic Abboud est l'élève des Frères à Beyrouth, tout à la fois studieux et indiscipliné. Très tôt occupé de peinture, il fait à 15 ans une rencontre déterminante avec le peintre libanais post-impressionniste César Gemayel.
En 1944, son père l'inscrit à l'École Française d'Ingénieurs de Beyrouth, il s'y morfond durant deux ans. Parlant de cette époque, il dira : « (...) la peinture me ravageait de plus en plus et ce que je faisais d'autre me devenait indifférent. Il y a toujours un peu de folie dans ce que l'on entreprend et certainement une fêlure quelque part... » (1).
Il abandonne ce cursus et s'inscrit à l'Académie Libanaise des Beaux-Arts, l'ambiance y est exaltée mais l'enseignement se révèle vite trop académique pour lui. Il décide de quitter le Liban.
Shafic Abboud arrive à Paris en octobre 1947, il a vingt ans, muni pour tout bagage de deux lettres de recommandation du poète Georges Schéhadé, destinées aux critiques d'art Georges Besson et Jacques Lassaigne, et d'une pension dérisoire que son père, tout à fait hostile à ce projet, lui assure temporairement. Il vit dans un meublé au 49 rue Saint-André des Arts ; il est passionné. Il fréquente l'Ecole des Beaux-Arts en parallèle de l'Académie de la Grande Chaumière et des ateliers d'André Lhote, Jean Metzinger, Othon Friesz et Fernand Léger dont il suit les corrections. Il découvre sans cesse de nouvelles approches picturales, les discute et se lie d'amitié avec d'autres jeunes peintres étrangers, tels Moser, Lindström, Raza, Istrati, Pougny...
Il est de retour au Liban à l'automne 49 mais très vite le besoin de repartir s'impose comme une évidence. Des allers et retours réguliers scanderont sa vie entière, une dualité tantôt sereine tantôt corrosive . Il travaille et présente en décembre 1950, grâce au soutien du peintre français George Cyr, sa première exposition personnelle à Beyrouth ; son travail est encore figuratif.
En mars 1951, il a réuni la somme nécessaire pour payer son voyage et subsister quelques temps à Paris. Il s'installe dans un petit atelier à côté du parc Montsouris, s'immerge dans la vie intellectuelle et artistique et reprend son étude auprès de Lhote, Metzinger, Friesz et Léger. Il s'inscrit à l'Ecole des Beaux-Arts et suit cette fois des cours de technique graphique auprès de Heuzé, du lithographe Jaudon, et de Goerg dans l'atelier duquel il grave Le Bouna, premier livre d'artiste créé par un peintre arabe.
Après trois années de grande précarité financière (il est barman à l'Abbaye de Royaumont, trouve des chantiers de peinture grâce au peintre Sélim Turan), il obtient un contrat avec le groupe de collectionneurs Baralipton.
Il s'affirme comme peintre, glisse de façon résolue vers l'abstraction, est de tous les débats organisés par Estienne et Degand, voyage beaucoup et visite jour après jour expositions et musées.
Avec l'historien Paul Veyne devant l'atelier du 5 villa du Parc Montsouris à Paris
1954 marque un tournant : il rencontre le critique d'art Roger van Gindertael, co-fondateur de la revue Cimaise et l'un des premiers à avoir écrit sur de Staël ou Hartung et qui défend de nombreux peintres comme Nallard, Gauthier, Bissière, Lanskoy, Bryen, ... Une relation essentielle, d'amitié et de travail, s'initie.
Soutenu par Gindertael, Shafic Abboud présente en février 1955 sa première exposition parisienne à la Galerie de Beaune. Il est invité au Salon des Réalités Nouvelles, participation qu'il va maintenir tout au long de sa vie, devenant quelques années plus tard membre du comité.
Cette période est assombrie par le décès de son père en mars 57, mais les expositions collectives se succèdent à Paris dans les galeries Iris Clert et Suzanne de Coninck et à l'étranger dans les biennales de Lissone, Düsseldorf ou Essen.
Quatre temps forts confirment sa place de peintre en 59. Deux expositions personnelles importantes, l'une à Paris à la Galerie La Roue animée Guy Resse et l'autre à la galerie Domus de Beyrouth.
Il est invité à la Première Biennale de Paris, dans la section française « choix des jeunes critiques » que sont Boudaille, Conil-Lacoste, Descargues, Ragon, Restany, Weelen et Taillandier.
L'année s'achève par la signature d'un contrat d'exclusivité avec la Galerie Raymonde Cazenave. Cette collaboration de quatre années va s'avérer très fructueuse mais aussi atrocement difficile, tant les clauses de l'accord sont contraignantes. Sa relation aux marchands en restera modifiée à jamais. Plusieurs expositions particulières sont organisées et, lorsqu'elles sont collectives, il expose aux côtés de Bryen, Hartung, Dumitresco, Lanskoy, Villon, Estève, ...
Il a rencontré quelques années plus tôt, par l'intermédiaire de son ami le plus proche, le compositeur André Boucourechliev, Nicole de Maupéou, jeune sociologue qui travaille avec Alain Touraine. Ils se marient en 1961 et élèvent ensemble Dominique, la fille de Nicole, née d'une première union, puis Christine qui naît en 1962.
Années de voyages encore, il éprouve le besoin d'aller parfaire sa formation de lithographe en Allemagne. Son intérêt pour les techniques de l'estampe va aller grandissant, il s'achètera bientôt une presse afin de réaliser ses propres tirages, il va graver le cuivre, le lino, le zinc, dessiner sur la pierre, ... Il travaille chez Mourlot et dans les plus prestigieux ateliers, multiplie les séjours en Hollande et en Belgique où il est artiste en résidence dans des centres d'art.
Cet attachement à la production de "multiples" est intimement lié à son amour du livre. Il illustre des recueils du poète Adonis, des récits picaresques de la tradition orientale Maqamat Al-Hariri, produit seul Le Bouna, La souris, Hamacs, Le Livre de la Difficulté et du Bonheur, et aura toujours un projet en cours.
1968 - Vernissage à la galerie La Roue (Gindertael, Miotte, Nallar, Karskaya)
La fin du contrat avec la galerie Cazenave l'apaise mais le confronte à de nouveaux problèmes financiers. En 1965, il est de retour à la Galerie La Roue pour une exposition personnelle ainsi qu'au Centre d'Art Contemporain de Beyrouth. Sa peinture se modifie, un nouveau dialogue avec la figuration transparaît.
Il expose beaucoup, en Allemagne, Algérie, Danemark et en Hollande avec Debré, Karskaya, Messagier, Miotte, Moser, Nallard et Rebeyrolle, avec lesquels il tente de créer un groupe d'artistes. Il participe aux Salons Schèmes et Comparaisons.
Avec Karskaya, artiste qui deviendra une grande amie, ils déclinent en 67 une série de portraits Connus-inconnus, puis ils réalisent pendant les événements de mai un travail à quatre mains Cousus-mains, une collaboration qui ne se reproduira avec aucun autre artiste.
Le Musée des Beaux-arts de Paris et l'Etat (CNAC) font l'acquisition de deux de ses oeuvres.
1972 - Atelier de la rue du Parc Montsouris
A partir de 1969 et jusqu'au début de la guerre civile du Liban en 1975, il enseignera durant un trimestre par an à l'Ecole Nationale des Beaux-arts de Beyrouth. C'est en France ensuite qu'il sera professeur jusqu'en 1992.
Il s'achète un petit atelier toujours dans le quartier du parc Montsouris, voyage en Belgique et en Hollande et rencontre Michèle Rodière qui deviendra sa future compagne.
Mais cette période est aussi marquée par une grande souffrance psychique, ses interrogations sur sa capacité à poursuivre un travail de peintre le tourmentent sans relâche ; sa vie personnelle est tout aussi déchirée et, en octobre 1973, il tente de mettre fin à ses jours.
Il ne cesse pourtant de travailler, ses grandes expositions ont lieu au Liban, chez Janine Rubeiz, à la Galerie Manoug, au Centre d'Art dirigé par Brigitte Schéhadé, mais aussi en France à la Galerie Protée ou à Amsterdam à la Galerie de Boer.
1980 - Aix en Provence - Atelier de céramique de Gérard et Marie Khoury
Il entame une série d'expositions chez Brigitte Schéhadé qui ouvre une galerie à Paris, travaille avec la galerie Principe, reste fidèle à Protée et de Boer à Amsterdam.
Les galeries Jeanne Bucher et Ariel organisent une exposition « 65 peintres témoignent leur amitié à Roger van Gindertael ». Il s'implique beaucoup dans ce projet ambitieux.
Pourtant, ce qui frappe durant ces années, c’est le besoin impérieux et démultiplié d'investir ou de ré-investir de nouveaux supports de création. Il se consacre longuement à la tapisserie, sculpte puis mélange terre cuite, ficelles et cordes, revient à la lithographie pour illustrer ou éditer plusieurs livres. Il décore en 1979-80 une longue série de plats bleus réalisée avec Gérard et Marie Khoury. Puis il s'attelle pendant plusieurs mois à la réalisation d'un mur de 30 m2, assemblage de cuivre et de terre cuite, dans un centre sportif de la Ville de Paris.
1982 - A l'atelier (photo Chantal Marfaing)
1981 marquera son retour au Liban après une interruption de cinq ans due à la guerre. Puis vient une année de deuils : il perd sa mère en février 1982, puis son « père spirituel » Roger van Gindertael meurt à son tour quelques mois plus tard.
Pendant un temps son travail se tourne vers l'enfance. Il reprendra un peu plus tard l'étude de l'arabe classique.
La revue Cimaise lui consacre en 1983 sa couverture ainsi qu'un dossier illustré accompagné d'un texte de Gilles Plazy. Son travail est exposé à la Fiac par la galerie Faris en 83, 84 et 88, qui lui organise deux expositions particulières. A la Fiac toujours, on le retrouve sur le stand de la galerie Protée en 83 et 86.
Il travaille à cette époque beaucoup de grands formats pour deux suites essentielles : Les Chambres et Les Nuits. La Galerie Faris propose une première rétrospective 1948-1998 de son oeuvre.
Il participe à des expositions à l'Institut du monde arabe, à Londres ainsi qu'au Danemark et poursuit son inlassable travail de lithographe.
1999 - Galerie Janine Rubeiz - Beyrouth
Il visite à plusieurs reprises l'Italie, Venise, Rome, Florence ... Achète une maison dans la Nièvre.
La Galerie Janine Rubeiz organise en 1994 sa première exposition personnelle à Beyrouth, après une interruption de seize années de guerre. Il reste plusieurs semaines au Liban, va à Damas et Alep.
Il expose à la Maison de l'Unesco, encore à l'Institut du monde arabe et toujours chez Protée.
La Galerie Claude Lemand organise très régulièrement entre 1997 et 2003 des expositions personnelles de son oeuvre.
Son ultime exposition personnelle au Liban a lieu en 1999 à la Galerie Janine Rubeiz.
En 1997, la maladie cardiaque qui va l'emporter s'était manifestée par une première crise violente, elle l'a affaibli de jour en jour. Shafic Abboud s'est éteint à Paris le 8 avril 2004. Il est enterré à Mhaidsé, son village natal.